Texte de Anna, une jeune de 22 ans, étudiante en psychologie

Il s’agit du titre d’un livre de Jean-Yves Leloup. Tombée par hasard dessus, je trouve très intéressant le titre qui renvoie directement au questionnement soulevé en la retraite d’automne 2023 : « Je t’aime. Moi aussi… je m’aime ». Qui aime quand je dis « je t’aime ? » Qu’est-ce qu’aimer ? Comment faire la différence entre le sentiment amoureux et l’amour véritable ?

La première question que je me suis posée quand j’ai dû écrire ce texte a été : comment parler de l’amour alors même que je ne l’ai jamais vécu. Comment mettre des mots sur un état intérieur, sur des émotions ? En prenant du recul, je me rends compte que même si je (mon petit je) ne connais pas l’amour que l’on ressent en couple, Je (la Dame qui est en moi) connaît l’amour que l’on partage avec son entourage ou même encore l’amour et la confiance que l’on place dans son Ami spirituel.

A première vue, il semble intéressant de présenter les différentes nuances de cet amour. Nous connaissons tous une partie de ce que l’on appelle « l’amour » au travers de nos relations avec nos proches, nos amis, nos parents, nos enfants ou encore notre couple. Cependant, il existe des nuances à cet amour d’après les Grecs.

Jean-Yves Leloup les présente dans son livre comme des niveaux de conscience plus ou moins élevés.

Le premier, le plus terrestre, est l’amour pornéia. « Comme je t’aime mon bébé, j’ai envie de te manger de bisous ». Il s’agit d’un amour de consommation, pour la maman comme pour le bébé qui tète encore le sein.

Vient ensuite l’amour eros, l’amour érotique. On se retrouve alors avec une notion de désir, d’urgence et d’impatience à l’idée d’assouvir ce désir. Nous sommes encore dans une consommation de l’autre.

L’amour Philia, pour sa part, est un amour d’amitié, un « amour d’âme à âme » : « Je te respecte, je t’admire, j’aime ta différence, je suis bien sans toi, je suis mieux avec toi, tu es mon meilleur ami, j’aime être avec toi, tu me fais du bien. La Philia, c’est aimer l’autre en tant qu’Autre ». On retrouve dans l’amour philia différentes nuances dont une que l’on nomme « philia physikè ». C’est l’amitié entre le parent et son enfant. Pour ma part, j’ai la sensation qu’existe un réel lien très fort avec ma mère qui me conduit à cet amour philia. J’ai le sentiment de pouvoir partager ce que je suis tout en recevant ce que ma mère est. Bon, je suis peut-être encore un peu fusionnelle, et elle aussi, pour qu’on puisse déjà parler d’amour philia.

Et vient enfin la dernière forme d’amour appelée « agapè ». C’est l’amour gratuit et inconditionnel. C’est « l’amour qui fait tourner la terre, le cœur humain et les autres étoiles ». A ce moment-là, ce n’est pas seulement Moi qui aime et qui t’aime, c’est le divin en moi qui aime. C’est l’amour qui aime en moi. On peut alors dire que cet amour libère ; amour et liberté ne faisant plus qu’un.

Je trouve très drôle qu’en écrivant ces lignes, je prenne conscience combien ce que je crois être l’amour dans toutes les romances que je peux lire n’est en fait qu’un amour de possession et de dépendance. C’est là un premier constat que je fais puisque je ne connais pas l’amour de couple : l’amour n’est pas dépendance, au contraire il devrait nous permettre d’être libre.

Être en couple c’est le même travail qui nous est demandé aujourd’hui en tant « qu’apprentis sages » : être pleinement moine ou moniale, s’unifier. Le couple pourrait être la même chose mais par un travail extérieur de l’un et l’autre. Par la rencontre d’un autre moi, on en vient à se rencontrer soi. L’autre en face de nous nous permet d’apprendre et de vivre ce qu’est la tolérance : nous acceptons pleinement l’autre comme étant différent de nous. L’amour, au lieu d’une fusion, pourrait ainsi être l’acceptation de la différence.

Cette confrontation au différent de soi permet de faire face à soi-même puisque nous avons tendance à chercher perpétuellement à comprendre le fonctionnement d’autrui en nous mettant à sa place. Or, nous ne pouvons que vivre notre perception de la réalité et nous ne pourrons jamais connaître la réalité de l’autre. « Au lieu de rester à ma place et de laisser l’autre – quel que soit cet autre – à sa place, je crée ce mélange, tant et si bien que plus rien n’existe en soi-même. Je ne vois plus rien, je ne vois plus que moi partout, indéfiniment. […] Le chemin du dépassement de l’ego et de la libération passe par cette nécessité de rendre à « l’autre » sa pleine liberté d’être lui-même, ce qui n’exclut pas le fait, tout en reconnaissant l’autre comme un autre, d’agir si vous sentez cette action utile et juste. Vous en tant qu’ego, vous pouvez disparaître complètement ; la Conscience demeure, les phénomènes continuent mais l’ego, qui fait des phénomènes une affaire personnelle, a disparu. Vous êtes là en tant que témoin immuable, permanent et les phénomènes sont là – sans confusion. » (A. Desjardins, A la recherche du Soi).

Par la construction du couple, on peut imaginer que l’Unité naîtra de la Rencontre des deux êtres qui épousent réciproquement leurs creux et leurs bosses.

« Et j’ose dire … que le suprême instrument de connaissance qui est mis à la disposition des hommes sur cette planète, c’est l’amour. » dit Arnaud Desjardins.

J’aimerais ici évoquer un questionnement : qu’est-ce qui fait que nous ne le vivons pas pleinement ? Quel est le bénéfice secondaire à notre situation actuelle ? Dans mon cas, qu’est-ce qui fait que je ne rencontre personne ? Qu’est-ce qui fait que je ne Rencontre par l’Autre ? Est-ce la peur d’être malheureuse ou au contraire la peur du bonheur ? Est-ce que c’est le fait d’aimer me plaindre de la situation dans laquelle je suis ? Pouvoir pleurer sur mon sort ? Pour ma part, je touche cette volonté : je veux rencontrer quelqu’un ! Mais est-ce que je ne m’y prépare pas quelque peu au travers de la rencontre des uns et des Autres dans le cadre de ce monastère ?

Sources
Qui aime quand je t’aime ? de Jean-Yves Leloup et Catherine Bensaid
Au-delà du Moi – A la recherche du Soi de Arnaud Desjardins